Cassandre GENONCEAU
Juriste
Doctorante en droit
Université de Bretagne Occidentale
Juriste
Doctorante en droit
Université de Bretagne Occidentale
: Arnaud Montas
: Région Bretagne / BMO
Date de soutenance de thèse 11/05/2022 : https://www.umr-amure.fr/soutenance-de-these-en-droit/
Le terme migrant attise à lui seul le débat politique, sociétal et économique depuis la (ré)apparition du phénomène migratoire vers, via et en Europe à la fin des années 90. Paradoxalement, le droit international, régional et national peine pourtant à saisir toute la singularité de cette personne opérant un déplacement international. Alors que les tentatives de définition juridique issues d’organisations internationales et régionales occultent totalement le déplacement du champ d’analyse général, assimilant le migrant à un immigrant, les normes existantes, applicables en sa qualité d’étranger, se révèlent partiellement inadaptées à sa condition juridique et à sa situation individuelle. Partant, un constat brutal intègre rapidement le débat juridique : le migrant ne bénéficie d’aucun statut juridique précis. Ce constat emporte un nombre important d’incidences lorsqu’il se déplace spontanément par voie maritime. En raison d’un déplacement illicite et / ou irrégulier et / ou inorganisé, et d’une émigration spontanée altérant nécessairement le lien de nationalité ou de domicile qui le reliait auparavant substantiellement à un État d’origine, la sécurité du migrant en mer peine à être assurée tout au long de son déplacement, du territoire national propre de départ, au territoire de transit / de destination (par nature susceptible d’être modifié, en fonction des obstacles ou des opportunités rencontrés par le migrant au cours du parcours migratoire). Perçu comme un étranger non désiré, les faiblesses normatives (hard law) sont progressivement comblées par la mise en oeuvre de pratiques d’acteurs étatiques européens et non étatiques portant atteinte à son intégrité physique et morale. Sans préjudice des règles applicables à sa situation administrative irrégulière en fonction de l’espace où il se trouve au cours de la navigation maritime (droit de la mer), les politiques d’irrégularisation du migrant en mer se multiplient (droit de la prévention contre l’immigration irrégulière). Les accords d’externalisation des frontières maritimes extérieures aux portes de l’Europe justifient la suspension et l’interruption du parcours migratoire en mer, et complexifient la réponse à apporter en termes de protection du migrant face à une situation d’urgence (secours face à une détresse en mer ; refoulement / push-back; expulsions collectives ; pull-back ; consignation à bord des navires d’interception). Face à une situation particulière de vulnérabilité (migrant déplacé et passager clandestin en quête d’asile ; mineur isolé étranger ; migrant malade ; femmes enceintes ; nouveaux-nés et mineurs accompagnés), les sources issues de la soft law tentent de promouvoir la protection du migrant en rappelant aux Etats leurs obligations étatiques (mesures d’assistance au titre du droit pénal international s’agissant du migrant objet d’un trafic ou victime de traite de la terre à la mer ; obligations positives et négatives issues du droit international et européen des droits humains qui présentent bien une nature extraterritoriale, bien que contestée par certains Etats).
À partir des événements dramatiques constatés en mer Méditerranée orientale, centrale ou occidentale, l’objectif de cette thèse est bien de recentrer le débat juridique autour de la personne même du migrant. Pour cela, il s’agira de le distinguer de l’étranger lato sensu en singularisant dès les prémices de cette thèse sa condition et sa situation, toutes deux fondées sur la notion de déplacement international. De cette analyse concrète et factuelle découlera une analyse davantage théorique, qui aura pour objectif de définir le migrant. Pour cela, la référence au seul déplacement international ne peut suffire, eu égard aux disparités importantes d’un déplacement à un autre. La migration internationale se révèle en effet multiforme, multicausale et multispatiale, ce qui emporte nécessairement l’applicabilité de règles de droit et de pratiques différentes, qui répondent à des enjeux plus ou moins distincts (immigration choisie ; intégration ; protection humanitaire ; émigration temporaire, etc.). De ce point de vue, la migration spontanée présente des caractéristiques propres. Dès lors, cette thèse de doctorat procédera à une catégorisation juridique du migrant, qui aboutira à la consécration de la catégorie du migrant spontané, déplacé par voie maritime en proposant des éléments constitutifs cumulatifs déterminés. Si la mer ne peut justifier, en soit, l’existence d’un vide juridique, le droit de la mer et le droit maritime conventionnel s’employant depuis le 20ème siècle à régir cet espace particulier, il reste que sa nature même en fait un espace déprocéduralisé d’une part, et davantage propice aux infractions pénales et aux abus de compétence étatiques et non-étatiques d’autre part. En cela, et en sus du risque de mer, le migrant spontané en mer est exposé à des risques suffisamment distincts de ceux rencontrés à terre ou par voie aérienne pour souligner l’urgence de la détermination de son statut juridique.
Cette mise en exergue de la catégorie juridique consacrée supposera de procéder à une analyse prospective et empirique des sources de droit applicables à cette catégorie de migrant en mer (droit de la prévention et de la lutte contre l’immigration irrégulière ; droit de la mer ; droit maritime). La conclusion de cette qualification juridique par la méthode de la déduction est sans appel : le cadre juridique applicable au migrant en mer est général, imprécis et inadéquat à sa condition et à sa situation. La détermination de son statut juridique s’en trouve alors compromise, et le risque d’atteinte à ses droits considérablement renforcé, voire légitimé (première partie des développements).
Dès lors, il s’agira de clarifier le régime juridique du migrant en mer en mettant l’accent sur la protection des droits individuels au cours de son déplacement, de lege lata et de lege ferenda. La première démarche est celle du constat (de lege lata) : sans préjudice du droit de l’État de contrôler l’entrée, la circulation et le séjour sur son territoire, l’étude de la personne du migrant en mer fait apparaître une confusion, une dilution et un déni des responsabilités (des acteurs privés, principalement du capitaine d’un navire en mer ; et étatiques : État du pavillon, État côtier). La seconde démarche est celle de la proposition (de lege ferenda) : il s’agira d’apporter des pistes de réflexion quant à la résolution des problématiques actuelles et futures relatives au migrant se déplaçant spontanément en mer, afin de rendre à cette personne juridique son autonomie juridique en termes de reconnaissance de sa qualité de victime, et de réparation des atteintes causées à sa personne en mer, autour du principe de dignité de la personne humaine et du droit à un recours effectif (seconde partie des développements).
Mots-clés : statut juridique ; personne ; migration spontanée ; déplacement international ; secours en mer ; détresse ; passager clandestin ; prévention et lutte contre l’immigration irrégulière ; espace maritime ; refoulement ; expulsions collectives ; trafic illicite de migrants; traite des êtres humains ; droit pénal international ; compétences étatiques ; responsabilité juridique ; droits fondamentaux ; principe de dignité de la personne humaine ; protection ; vulnérabilité ; droit de l’accès à la procédure d’asile ; droit des réfugiés.